par neocobalt » Vendredi 07 Septembre 2012, 14h40
Olivier Deparis est l'auteur de Main Mise sur Jakobar, chroniqué ici.
Nous lui avons proposé de nous en dire plus sur ce roman paru en 2011 chez Rivière Blanche et sur son parcours d'écrivain.
A noter que Olivier Deparis sera présent à Puteaux le 22 septembre 2012 pour le festival Science versus Fiction.
1- Bonjour Olivier. Tout d’abord, merci de nous accorder cette interview.
Peux-tu te présenter pour ceux qui ne te connaissent pas encore ?
C'est moi qui te remercie, Jean-François.
Je suis un auteur lorrain découvert par Philippe Ward, directeur littéraire des éditions Rivière Blanche. Il m'a fallu près de vingt ans pour me faire publier. Aujourd'hui j'ai la chance de pouvoir me consacrer à l'écriture, alors je goûte mon plaisir. Mais mon début de parcours fut vraiment laborieux. Quelques choix malheureux, un poil trop d'obstination et un soupçon de malchance… J'ai gagné en expérience.
En dehors de cela, je mène une existence des plus normales. La famille, les amis, le sport, les jeux vidéos, et bien sûr la lecture…
2- Depuis quand écris-tu et comment es-tu venu à la Science-Fiction ?
J'ai beaucoup lu dans l'enfance. Surtout des récits d'aventures, mais aussi une collection de revues cédée par un oncle : Strange, etc…. La science-fiction m'était aussi apparue au travers de la télévision, en particulier d'une série comme Cosmos 1999 (qui m'effrayait et me fascinait à la fois), ou les Thunderbirds. Star Wars a enfoncé le clou. La qualité technique du film m'a imprégné pour toujours. Et puis l'école m'ennuyait, la technologie me décevait, l'être humain… J'avais besoin de m'échapper.
J'ai écrit ma première ébauche de roman à l'âge de 12 ou 13 ans. De la science-fiction déjà, une porte vers un autre monde. Un galion espagnol disparaissait en franchissant le détroit de Magellan, et se retrouvait projeté dans un monde sans terre, où résidait malgré tout une autre version de l'humanité, bien plus avancée que la nôtre d'un point de vue technologique. Le héros de l'aventure, au départ fasciné, découvrait vite l'arrière du décor : une civilisation scindée en deux, minée par une guerre sans merci ; un monde malade de fascisme et de xénophobie, incapable de rêver à rien d'autre qu'à la suprématie absolue.
Le même été, j'enchaînais la lecture de 2001, Odyssée de l'Espace ; 2010 Odyssée 2. Et, seconde claque interstellaire de ma courte existence : Les Hérétiques de Dune. L'un des derniers romans de la série de Franck Herbert. Dans les jours qui ont suivi, j'ai dévoré tous les autres. Herbert m'a montré la voie, ouvert des perspectives jusque-là insoupçonnées.
Peu après, Tom Clancy m'a fait découvrir une facette plus contemporaine de la géopolitique, avec Octobre Rouge, ou Danger Immédiat. L'envie s'est imposée à moi de lier les deux mondes.
Durant longtemps, je me suis acharné à travailler sur l'avenir proche, une vision science-fictive à court terme qui hélas, n'intéressait personne dans les années 90.
3- Avec Main Mise sur Jakobar, tu signes un premier roman de Space-Opera.
Justement, pour t'y être aventuré, comment est encore perçu ce genre aujourd'hui, notamment par le public ?
Beaucoup de gens ignorent le terme. Certains ne font même pas le lien avec la science-fiction. Souvent, je prends des raccourcis en citant quelques films, comme Star Trek ou Star Wars, histoire de situer les bases du genre, mais il arrive parfois que la référence embarrasse, comme s'il y avait de quoi avoir honte de connaître ces films. En règle générale, je trouve que la science-fiction souffre d'une véritable méconnaissance du public. Les jeunes lecteurs en particulier ignorent l'incroyable proximité entre Fantasy et Space-Opera, ils dévorent la première en méprisant le second, et se privent ainsi du pan sans doute le plus riche de la littérature de l'imaginaire. Le paradoxe, c'est qu'ils consomment souvent les deux genres une fois les romans portés à l'écran. Les filles, surtout, imaginent la littérature SF truffée de descriptions techniques, de théories impénétrables ; elle serait pauvre en intrigues, sans portée sentimentale. C'était parfois la vérité dans les années 90, au point qu'au tournant de l'an 2000, j'avais moi-même arrêté de lire de la science-fiction. Mais depuis, l'offre a changé. La hard-science a reculé et les gros éditeurs ont compris qu'on n'attrape pas les mouches avec le plan technique d'une raffinerie de sucre.
4- Peux-tu nous en dire plus sur tes précédentes contributions chez Rivière Blanche ?
En 2007, j'ai participé à un premier recueil en hommage à un fameux auteur du Fleuve Noir ancienne version, j'ai nommé P-J Hérault. Il s'agissait de replonger dans sa série phare, Cal de Ter. Philippe Ward souhaitait redonner vie à cet univers qu'il adorait et il demandait à quelques auteurs de proposer des nouvelles en vue de monter un recueil. Je lui avais envoyé un manuscrit quelques mois plus tôt et comme il avait aimé, il m'a offert de participer à l'anthologie "Le retour de Cal de Ter". Mon premier texte, intitulé : Le secret de Cal de Ter, est donc paru à cette occasion. Il s'agit d'un épilogue très personnel concluant la série.
Deux ans plus tard, le succès du recueil appelait un second ouvrage : L'épopée de Cal de Ter. J'étais content de rempiler. P-J Hérault avait mené une réflexion d'arrière-plan sur la relation homme-robot, une approche qu'il m'intéressait de poursuivre. L'idée était la suivante : l'homme transmet la vie par réflexe archaïque ; il place dans sa progéniture l'espoir d'un être à son image, mais débarrassé de ses défauts et exempt de perversion. Et s'il procréait en réalité conscient de son propre échec, de ses propres lacunes, dans l'espoir de s'améliorer ? J'ai inoculé une lubie de ce type à un robot humanoïde, et observé le résultat.
5- Main Mise sur Jakobar rend hommage au genre du récit d'aventures. Peux-tu nous en raconter un peu la genèse ?
Comme je l'ai dit tout à l'heure, j'avais envoyé un manuscrit à Philippe Ward, directeur littéraire chez Rivière Blanche, et le roman lui a plu. Cependant, il a refusé de le publier estimant qu'il sortait beaucoup trop de sa ligne éditoriale. Il m'a dit : "écris-moi un space opera et s'il me plaît, promis, je le publie". Et il a ajouté : "je suis sûr que tu y arriveras". Cela peut sembler bizarre pour quelqu'un qui cherchait depuis aussi longtemps à se faire publier, mais j'ai mis deux ans à accepter. Je sortais d'une expérience malheureuse avec un gros éditeur qui m'a fait entièrement retravailler un énorme manuscrit avant de m'envoyer balader, suite à son rachat par un concurrent. Je n'avais donc plus envie de m'engager sur du vent. Et pour la première fois de ma vie, je doutais posséder une once de talent littéraire.
Philippe m'a proposé de me faire la main sur des textes plus courts. C'est ainsi que sont nées les deux nouvelles dont j'ai parlé plus haut. Elles m'ont rendu foi en moi. Je ne pouvais plus refuser.
6- Tu immerges tes personnages dans un univers où la technologie côtoie la chair. Pour survivre, comme l'évoque l'éditeur en quatrième de couverture, ils doivent apprendre à se connaître, surmonter leurs différences.
Ce principe a-t-il guidé ton récit ?
Oui. Le roman tout entier traite de la différence, et à multiples niveaux. Le lecteur lambda aura certainement le réflexe de classifier les humains d'un côté, mutants et extra-terrestres de l'autre. J'ai pris un malin plaisir à déplacer les frontières tout au long du roman. La scène d'introduction des personnages de la Main illustre totalement cette volonté.
7- L'évolution de tes personnages au fil du roman transparaît dans leurs rapports et leurs réactions. J'ai perçu à travers elle une progression émotionnelle.
Y accordes-tu une attention particulière quand tu écris ?
J'attache beaucoup d'importance à l'évolution des personnages, à la crédibilité de leur comportement. Le réalisme émotionnel est une pierre angulaire du travail d'auteur. La science-fiction nous interroge sur nous-mêmes, sur nos choix présents et à venir, bien sûr, mais aussi sur nos origines, sur notre place dans l'univers ; mais elle ne le fait jamais aussi bien qu'à travers notre rapport à l'autre. Dès lors, la moindre fausse note comportementale peut avoir un effet catastrophique sur l'impact d'une histoire et la perception du message que l'on souhaite transmettre à travers elle. Je consacre l'essentiel de mon temps à accorder mes violons. Plus l'évolution sentimentale d'un personnage est lente et subtile, et plus elle s'ancre profondément dans l'esprit du lecteur ; plus elle le touche.
8- Jakobar est un récit qui se suffit à lui-même et n'appelle pas de suite. Néanmoins, envisagerais-tu de revisiter un jour cet univers et de renouer avec les personnages de la Main ?
L'histoire le permet aisément. Néanmoins, j'ai besoin pour écrire d'avoir des choses précises à raconter, des thèmes chers à traiter. Moi-même, j'ai tellement été déçu par les suites sans intérêt de certains romans que je me refuse à traiter mes lecteurs avec la même légèreté, simplement pour le plaisir de renouer avec un univers qui m'a ému, et qu'il m'a déchiré de clore.
9- Les références ne manquent pas dans le texte.
Pour te connaître un peu mieux, quelles sont les oeuvres (tous genres et formats confondus, de la SF au Policier, du cinéma à la BD) qui t'ont marqué ou t'influencent aujourd'hui ?
J'ai déjà indiqué l'essentiel de mes références littéraires. Ces dix dernières années, ils sont peu à m'avoir touché. En littérature générale, J.C. Grangé m'a bluffé avec Le vol des Cigognes, son premier roman. Millenium aussi est excellent, malgré un style journalistique et pourvu de se donner la peine d'aller jusqu'au bout. En S.F, quatre titres me viennent à l'esprit : "des milliards de tapis de cheveux", d'Andreas Eschbach ; "Seentha", de Jean-Michel Archaimbault (hallucinant et poétique) ; "Demain, une oasis" d'Ayerdhal (un auteur engagé, bon sang ! ça fait du bien) ; et Loar, de Loïc Henry, qui pour la première fois depuis Franck Herbert, a construit un univers gigantesque, du pur space opera, capable de me convaincre (ce n'est peut-être pas un hasard s'il est bourré de références à Dune).
Au cinéma, qu'au passage j'ai étudié deux ans à Paris, commençons par mes deux maîtres : Steven Spielberg et Sergio Leone. "Il était une fois dans l'Ouest", quel frisson !
Mais beaucoup de films m'ont marqué : 2001, Odyssée de l'Espace ; Blade Runner ; bien sûr "Dune" de David Lynch, certainement la meilleure adaptation à ce jour, celle qui se rapproche le mieux de l'esprit du roman ; Alien ; Rencontres du Troisième type ; Minority Report (la plupart des Spielberg, j'insiste) ; Avatar ; Abyss (malgré la fin) ; Matrix (un vrai enfant d'Ubik) ; Deliverance (de J. Boorman) ; T2 (assurément le meilleur de la série Terminator par sa thématique du père et la relation homme-machine) ; Star Wars épisodes 2 à 5 (les autres sont trop clairement orientés jeune public) ; Le Nom de la Rose (J.J Annaud !) ; Usual suspect ; Passé Virtuel ; Memento ; 21 grammes (de Inarritù) ; les fils de l'Homme (de Cuaron) ; Inception…
Mieux vaut que je m'arrête là sinon on risque d'y passer la nuit.
10- As-tu d'autres projets - avec Rivière Blanche notamment - que nous pourrions soutenir au terme de cette rencontre ?
Rivière Blanche m'a découvert, et je suis infiniment reconnaissant à Philippe Ward de m'avoir tendu la main. Tellement peu d'éditeurs accueillent de nouveaux auteurs qu'il m'apparaît normal, en accord avec Philippe, de laisser leur chance à d'autres. Mon prochain manuscrit verra donc certainement le jour chez un autre éditeur. Il s'agit encore d'un space opera, mais l'histoire n'est pas linéaire et elle exigera un effort différent de la part du lecteur. J'aime varier les plaisirs, en respectant malgré tout une certaine logique. J'y aborde plusieurs thèmes, dont la réalité du libre arbitre.