Secret show
Dessinateur : Gabriel Rodriguez
Scénario : Chris Ryall, Clive Barker
Éditeur : Akileos
Année de parution : 2011
Pour être honnête, je me vois obligé de faire d'entrée de jeu un double aveu : primo, je n'ai jamais lu le roman éponyme de Clive Barker et secundo, je n'aime pas Clive Barker, du moins dans sa tendance horreur-gore (car il paraîtrait que l'auteur ne fait pas que dans la tripaille non plus).
C'est dire si j'étais plutôt réticent au départ à faire l'achat de ce comics de 270 pages mais puisque mon libraire ne tarissait pas d'éloges sur cette brique et m'assurait croix de bois croix de fer si je mens... je te rembourserai (vraiment ? non, je plaisante mais lis-le tout de même !), je me suis laissé tenter. J'ai juste vérifier en feuilletant, de- ci de-là, si je n'allais pas me faire éclabousser d'hémoglobine. Pas de raisiné au programme : l'histoire se situait apparement bien dans une autre catégorie, plus proche de la fantasy urbaine.
Je me dois aussi de préciser que j'avais été d'emblée attiré par le dessin de Gabriel Rodriguez, dont j'avais découvert le talent dans sa nouvelle série
Locke & Key et à qui, en passant, je tire mon chapeau d'avoir livré un tel travail de longue haleine et, cela vaut d'être noté, avec un dessin que j'apprécie beaucoup et très régulier de la première à la dernière planche.
Cela étant dit, j'en viens à la substantifique moëlle de l'album : le scénario, l'intrigue, le coeur de la machine, bref l'histoire.
Celle de Randolph Jaffe, postier insignifiant relégué au courrier perdu qui remonte peu à peu la piste d'un secret ésotérique suggéré par certaines lettres, était déjà bien intriguante. La suite, je vous en livre en vrac les quelques éléments à la manière "points de suspension" d'un Louis-Ferdinand Céline mais avec le talent en moi.
Soit : la quête de ce pauvre type, aboutissant à l'obtention d'un pouvoir "magique" mais dont les motivations sont au final assez vaines... le lien antagoniste et universel (Bien contre Mal mais aussi, plus subtilement, Peurs contre Rêves) qui l'attache à un Adversaire... l'ellipse qui amène le lecteur vingt ans plus tard et ce combat qui se perpétue à travers les "enfants" des deux ennemis... les relations entre ceux-ci... le retour des deux hommes aux pouvoirs bien plus étendus qui sont prêt pour l'ultime affrontement, le premier se nourissant des peurs de ses semblables et donnant naissance à des monstres issus de ces peurs et le second matérialisant au contraire les rêves et fantasmes des habitants de la petite ville où se situe toute l'action... et un fond ésotérique assez riche et mystérieux, en filigrane de l'histoire, qui possède un lexique propre avec des mots comme la "quiddité", le "banc", le "nonce", la "trinité", etc... qui ponctuent le récit mais sans tomber dans le mysticisme hermético-kitch et pesant d'un Jodorowsky car, au-delà de tout cela, l'histoire elle-même est aussi accessible qu'un roman de Stephen King.
Le final, peut-être, laisse un peu sur sa faim vu tout ce qui a précédé et n'est pas vraiment à la hauteur de l'apocalypse annonçée (sans compter qu'on ne peut pas parler d'une véritable conclusion non plus...) mais je n'ai pas été dépité au point d'en ressentir de la frustration car cela reste acceptable selon moi.
Bref, j'ai tout de même suffisament arpenté le genre fantastique en bande dessinée et les scénaristes me décoivent souvent par des intrigues qui manient et recyclent les poncifs du genre (démons, vampires, fantômes, loups-garous et tutti quanti) sans grande originalité.
En comparaison, ce scénario/adaptation (car encore une fois, je ne peux parler du roman de Barker) de
Secret show m'est apparu bien plus riche et plus original et donc, selon mes propres critères, j'opine du bonnet.
Bien entendu, j'ai surtout évoqué plus haut les ingrédients. Restait à me faire une idée sur le liant, l'agencement de ce matériau qui, aussi riche soit-il, ne fait pas forcément un bon bouquin (dans ce cas-ci une bonne BD) mais là encore, je ne trouve quasiment rien de négatif à redire au traitement de l'histoire : il y a bien quelques longueurs, je l'admet (vu le nombre de pages...), cela manque peut-être de rythme pour quelqu'un qui aime les histoires qui galopent, on pourra aussi rétorquer que les scènes fantastiques manquent parfois de variété (le Jaffe et ses grosse bêbêtes qui va et qui vient par exemple) mais j'ai pourtant lu ce "pavé" sans aucun ennui, trouvant (presque) à chaque fois de l'intérêt à l'une ou l'autre scène, fantastique ou intimiste, l'essentiel étant d'ailleurs plutôt mis sur les personnages et leurs relations croisées.
Et concernant ceux-ci, le scénario prend aussi des directions intéressantes : les personnages que l'on pense principaux se révèlent finalement assez secondaires et, à l'inverse, ceux que l'on pensait anecdotique (la reporter arriviste Tesla surtout) se révèlent devoir jouer un rôle très important et même crucial. J'ai apprécié ce renversement des perspectives scénaristiques. Un bon point de plus...
Une fois encore, je dirais que quatre albums de BD sur cinq que je lis dans le genre fantastique ont tendance à m'inspirer un simple "mouais, pas trop mal mais sans plus" et c'est d'autant plus décevant pour moi que j'aime ce genre.
Secret show ne m'a pas déçu et fait indéniablement partie de la cinquième (bonne) portion.
Et, indirectement, Clive Barker remonte dans mon estime.
Drapé dans un manteau de fou rire, il écrivait des texticules sur l'abominable neige des hommes (Philippe Curval)