Ecrivain anglais né en 1934, John Brunner est surtout célèbre dans le milieu de la SF pour quatre romans écrits aux alentours des années 70, décennie qui voit apparaître une conscience aigüe des problèmes écologiques, démographiques et politiques.
Une époque aussi, il faut bien le reconnaître, ayant un certain goût masochiste pour le catastrophisme et les lendemains qui déchantent (notamment au cinéma avec toute la vague des films-catastrophes et, dans un domaine plus strictement SF, des films bien glauques comme Soleil Vert, Rollerball, Orange Mécanique et autre New-York ne répond plus).
La littérature SF n'était d'ailleurs pas en reste et délaissa à cette époque ses histoires habituelles pour se recentrer davantage vers des préoccupations plus immédiates (quitte à s'y embourber mais ceci est une autre histoire...)
On trouve tout cela dans les romans de Brunner (et bien plus), dont l'oeuvre se situe davantage dans une fiction-spéculative "engagée" plutôt que sur des histoires de voyages interstellaires. Il reste encore aujourd'hui l'un des représentants les plus respectés de ce type d'anticipation (le plus respecté ?).
Néanmoins, il faut préciser que la production SF de Brunner est très variée et compte aussi son lot d'ouvrages médiocres, écrits pour des raisons purement alimentaires de son propre aveu (il faut bien vivre !). Aussi, méfiance.
Je mentionnerai donc surtout ici la partie de son oeuvre qu'il est convenu d'appeller "la tétralogie noire", quatre romans ambitieux de grande qualité, touffus, et dont le souci de décrire dans le détail des scénarios de lendemains toujours possibles n'a d'égale que la pertinence du propos.
Le premier est aussi le plus célèbre. Tous à Zanzibar (1968) est un gros pavé foisonnant décrivant un futur proche cauchemardesque : surpopulation, pollution, extrémismes, le livre est une mosaïque grouillante de personnages, d'histoires entrecroisées, renforcé encore par une écriture inspirée de John Dos Passos (utilisation de coupures de presse fictives, de publicités, afin de renforcer l'impression de réel).
Un roman dans lequel on entre assez difficilement mais qui mérite bien ce petit effort, tant son propos reste d'actualité sur bien des points et sa structure complexe parfaitement maîtrisée.
L'orbite déchiquetée (1969) a pour thème la haine raciale qui fait rage en 2014 entre Blancs et Noirs aux USA et qui abouti à une véritable guerre civile. Hors, ce conflit arrange les affaires de la Gottschalk, une mafia qui vend les armes aux deux camps. Aux Noirs, d'abord, à bas prix, puis aux Blancs paniqués, à n'importe quel prix. Un roman-choc sur un problème très américain dont l'impact est curieusement amoindri par une fin curieusement optimiste.
Le troupeau aveugle (1972) au même titre que Zanzibar, atteint lui aussi les sommets de la sinistrose généralisée. Brunner se focalise sur un monde futur atteinte par l'ultime stade de la pollution (pluies acides, maladies, Méditérannée asséchée,...), un gouvernement incompétent et une population croupissante et abêtie.
Sur l'onde de choc, enfin, (1975) anticipait sur l'Internet que nous connaissons, mais dans ses conséquences les plus extrêmes. Brunner imagine un vaste réseau informatique de dimension planétaire où chaque citoyen est fiché et, tel une mouche, empêtré dans cette toile d'araignée virtuelle qui, bien entendu, menace sa liberté et ses droits.
Nous n'y sommes pas encore mais qui sait si à l'avenir...
En dehors de cette tétralogie, on peut noter encore un étonnant roman, La ville est un échiquier (1965) où Brunner transpose en fiction politique (et politique-fiction) une véritable partie d'échecs qui eut lieu lors d'un championnat, chaque événement de l'intrigue représentant un mouvement de pièce. Un tour de force.
Enfin, je note aussi Le livre d'Or que lui consacra Presses Pocket (difficile à trouver aujourd'hui), et qui propose quelques nouvelles de facture assez classiques mais menées avec sa rigueur habituelle et son souci de plausibilité.
Comme on l'aura constaté, la SF de John Brunner ne cherche pas à être aimable ni très fun mais ses anticipations proches, bien qu'excessives si on les considère avec le recul (notre présent n'est, heureusement, pas aussi catastrophique que dans ses romans), gardent malgré tout leur pertinence sur des sujets aussi sensibles que l'écologie, par exemple (ce n'est pas Al Gore qui dirait le contraire) ou les dérives possibles de l'informatisation et du pouvoir médiatique.
Bref, si vous êtes plutôt du genre à aimer une science-fiction toute en apesanteur, qui aime rêver à la possibilité d'explorer les galaxies, il est sans doute préférable d'aller voir ailleurs.
En revanche, si une SF sociologique très terre-à-terre et fortement engagée ne vous rebute pas, John Brunner reste une référence incontournable.