Des filles à pleins tiroirs
Fritz Leiber
A deskful of girls
Copyright Mercury Press, 1958
Copyright Editions Opta pour la traduction
La grande anthologie de la science-fiction
Histoires de médecins
Cette nouvelle marque une brillante nouvelle carrière de Fritz Leiber, quittant un poste de rédacteur en chef qui avait mis en sommeil une première vie bohème et artistique mêlant philosophie, théâtre sur les pas de son père puis ses débuts au coeur de l'âge d'or : il débute en 1939 dans Unknown, revue de fantastique que dirigeait John W. Campbell Jr. parallèlement à Astounding. Le fantastique marque de son empreinte ses écrits, et l'auteur renoue alors avec ses amours en 1957.
Des filles à pleins tiroirs s'écrit sous les lumières du cinéma et du théâtre. L'univers des acteurs - celui des actrices serait plus juste - sert de décor à une intrigue fantastique, rationalisée juste ce qu'il faut pour se rapprocher de la science-fiction et donner des explications, des clefs pour ouvrir des tiroirs narratifs et en sortir des formes poétiques. Les actions et relations des personnages - dont un genre de privé, d'homme de main ou de mercenaire Carr MacKay, un psychologue pervers le Dr. Emyl Slyker, une actrice au firmament Evelyn Cordew, et "des filles à pleins tiroirs" - se montrent alternativement éclairées et obscurcies par les formes brillantes et vaporeuses de l'écriture de l'auteur.
Qui sont vraiment ces "filles à pleins tiroirs" ? Leiber s'emploie à nous révéler ce mystère. Ce qu'il peut en être dit, c'est qu'il est question de "filles-fantômes, et excitantes avec ça". "Mais les fantômes, en principe, devraient être terrifiants ? Eh bien, qui a jamais dit que la sexualité ne le soit pas ? Elle l'est bien pour le néophyte, fille ou garçon, et ne vous en laissez pas conter sur ce point par les mâles ! D'abord, c'est le sexe qui dévoile l'inconscient, lequel n'a rien d'un jardin d'enfants. Le sexe, c'est à la fois une force et un rituel essentiel, suprême ; l'homme et la femme des cavernes qui existent en chacun de nous sont fichtrement plus puissants que ne le laissent penser les blagues et les dessins humoristiques qu'ils inspirent. C'est la sexualité qui se cachait sous la sorcellerie, les sabbats n'étaient que des orgies. La sorcière était une créature de rêve érotique. Le fantôme l'est aussi. Après tout, qu'est-ce qu'un fantôme, selon la tradition, sinon l'enveloppe, la surface d'un être humain... une peau qui s'anime ? Et la peau, ce n'est que sexualité... c'est le toucher, la frontière, le masque de la chair." Cette conception de la peau, Carr MacKay la doit au Dr. Emyl Slyker dont il s'applique à gagner la confiance "en admirateur fervent, en pseudo-apprenti-sorcier".
C'est en partant de ce postulat que Leiber nous raconte une histoire de fantômes captivante et à tiroirs qui s'enroule autour de notre esprit et ne le libère... qu'à la fin de la séance. De quoi voir son psy sous un jour nouveau.